Revue Hypnose

Peur du vide: 4 situations cliniques

Peur
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Cet article s’inscrit dans l’approche interactionnelle et stratégique brève qui a pris naissance au Brief Therapy Center du Mental Research Institute de Palo Alto, avec pour marque de fabrique et pierre angulaire le génial réducteur de complexité de « tentative de solution » infructueuse.


1. PEUR D’UNE COLLISION AU SKI

Je crois devoir à ma belle-soeur américaine l’inspiration qui m’a conduite à considérer comment notre perception de l’espace peut être problématique ou au contraire aidante. Nous étions en train de skier sur une piste française plutôt fréquentée. Si notre aise sur les skis nous différenciait, aucune de nous n’appréciait de skier dans la foule : je préférais la haute montagne et elle les vastes et tranquilles domaines de l’Utah. Mais dans ces circonstances précises, notre niveau de confort était franchement différent, et comme je souhaitais qu’elle se sente mieux je m’intéressai à la manière dont elle orientait son attention puis observai comment j’orientais la mienne. Comme toute personne qui a peur, elle se focalisait exclusivement sur l’objet de sa peur. En effet, de peur d’être percutée ou dans la tentative de se prémunir d’un tel accident, elle se concentrait avec une grande énergie – mais sans le vouloir – sur les autres skieurs et surfeurs qui entraient dans son champ de vision (une activité en elle-même très fatigante puisque les objets de son attention étaient nombreux et sans cesse en mouvement) ; alors que de mon côté, j’avais plutôt tendance à orienter mon attention sur les espaces entre les autres usagers de la piste, et à m’insérer avec facilité dans ces espaces. Comme dans la gravure de M. C. Escher, Limite Circulaire IV, Enfer et Paradis, quand vous regardez le noir, vous êtes chez les démons, et quand vous regardez le blanc, vous êtes chez les anges...
Je lui ai donc suggéré de regarder autant que possible le blanc, l’espace libre, et de ramener régulièrement son attention là-dessus. Sa crispation s’atténuant, l’augmentation sensible du confort perçu l’a aidée à continuer à opérer ce changement de focus et elle a pu terminer sa journée de ski avec davantage de satisfaction.
La question est donc : sur quoi et comment orientons-nous notre attention ? Regarder l’espace entre les choses me détend et me ravit depuis toujours, moi qui suis de tendance active et qui ai plutôt l’habitude de regarder les choses... en cherchant ce qu’il y a à faire ! Mais certaines personnes éprouvent un grand malaise à percevoir le vide entre les objets de la vision. L’espace n’est pas toujours perçu de la même façon. Par exemple, quelqu’un qui est terrorisé par le « vide » et donc pour qui cette perception est un problème aura tendance à considérer ce champ de sa vision comme dangereux, à éviter de regarder cet espace, et voudra même faire comme si ce pan de son expérience perceptuelle n’existait pas. Mais peut-on réellement évincer tout un pan de son champ de conscience ? Cet évitement sera-t-il rassurant ? Non, finalement, et si l’on tente de le faire, ce pan « banni » sera tout de même perçu, et de manière bien plus menaçante encore. Il faudra donc trouver comment le « réintégrer ».


2. PEUR DE CONDUIRE

Emilie, 40 ans, consulte parce qu’elle a de plus en plus de mal à conduire, en particulier sur les tronçons de route inconnus, sur l’autoroute en général, quand la route ou l’autoroute qu’elle emprunte passe sur des ponts, quand il y a des surplombs, des virages avec une perspective plongeante, et sur les routes de montagne. Elle a l’impression que son véhicule pourrait décoller de la route, partir dans le décor, être en quelque sorte aspiré par l’espace. Du coup, elle ralentit et peut se retrouver à rouler à 70 km/h sur l’autoroute par exemple, ce qui est dangereux. Elle regarde très souvent le compteur pour vérifier sa vitesse, s’exhorte à conduire plus vite, essaie de se concentrer sur la route, et surtout tente de ne pas regarder ces espaces qui lui font peur. Elle craint aussi beaucoup de faire des dépassements, s’imagine qu’elle pourrait mal évaluer les distances latérales, devant, derrière... Elle appréhende, et peut rester à se traîner derrière un camion pour ne pas avoir à le dépasser.
Elle évite autant qu’elle peut, tremble, transpire, freine, mais elle est artisan, mère de famille, vit à la campagne et donc a besoin de circuler en voiture ne serait-ce que pour travailler et aller faire ses courses, conduire ses enfants à droite et à gauche et de surcroît son compagnon vient d’avoir un retrait de permis pour six mois. Elle est très impactée par sa peur et ses impressions qu’elle trouve délirantes mais auxquelles elle croit tout de même. « C’est comme si ça pouvait se passer comme ça, dit-elle. Que je me fasse aspirer par le vide. » C’est une peur qui est arrivée progressivement dans sa vie, elle ne sait comment, depuis quelques années, et qui s’aggrave. Avant, elle aimait conduire et ne se posait aucune question. Nous explorons ce qu’elle fait avec ellemême – sa relation avec elle-même dans le contexte de ce problème –, la manière dont elle oriente son attention sur un tronçon de route qui tourne, avec beaucoup d’espace et un moment de surplomb : « Je ne dois pas regarder, j’aurais trop peur. J’essaie de me forcer à me con centrer sur la route, j’ai du mal, je n’ai pas confiance dans mes perceptions, je suis hyper crispée, j’ai les mains qui tremblent, j’ai l’impression que je vais perdre le contrôle de ma voiture. » Elle doit prochainement faire un trajet aller et retour à la montagne car la famille va au ski, par la force des choses c’est elle qui conduira, il y aura de l’autoroute... Emilie aime la nature. Sur un mode un peu hypnotique, nous partons en balade dans des lieux où la vue est belle et où elle peut la contempler confortablement et en toute sécurité. Paysages, perspectives diverses, espacements, rapprochements, arbres, ciels, nuages... je la guide pour qu’elle apprécie les distances, le bleu du ciel, les objets petits et grands... Elle est bien. Nous revenons dans la pièce. Je lui fais observer qu’elle a remarqué tout l’espace de son champ visuel dans l’expérience et qu’elle était bien. Elle acquiesce. Je lui dis qu’il n’est pas possible, même pour se rassurer, d’évincer totalement une partie de son champ de conscience comme elle tente de le faire lorsqu’elle conduit, car quoi qu’il en soit une partie d’elle sait que ce vide, cet espace, existe quand même là, dans son champ de perception. Elle est d’accord. Nous regardons l’espace entre les objets de mon bureau, la distance d’un mur à l’autre. Elle trouve que ça la détend. Puis, en hypnose conversationnelle, nous stimulons son imagination et allons parcourir tous les tronçons, tous les trajets qu’elle redoute, en remarquant tout ce qu’il y a à remarquer, en voyant tout ce qui s’offre à la vue, mais en se focalisant sur ce sur quoi il est utile de se focaliser quand on conduit, tout en restant con - scientes des sensations du corps assis sur le fauteuil/le siège de la voiture. Dans le détail, je la guide sur les échangeurs, les présélections, les ponts, les montées et les descentes en surplomb, avec des limitations de vitesse qui changent, des perspectives qui se modifient, qu’elle perçoit dans sa vision périphérique tout en se focalisant sur la route. C’est mieux. Elle apprécie la différence au niveau de ses sensations internes. Je profite du fait qu’elle aime skier pour lui rappeler que pour tourner facilement à ski, il faut se mettre face à la pente et mettre le poids du corps sur le ski aval pour déclencher le virage ; les personnes qui ont peur de la pente tombent lorsqu’elles s’appuient sur le ski amont en évitant de regarder vers le bas, là où ça leur fait peur. Elle vit physiquement cette évidence, elle est d’accord.

Elle reviendra de ses vacances de ski contente d’avoir pu conduire sans crainte, même dans les virages précédant la station où la pente est vraiment raide, même en descente, en orientant son attention de manière utile, sans vouloir à tout prix éviter le vide. Elle mentionne toutefois un moment où elle s’est énervée contre ellemême car de désagréables sensations de tension avaient commencé à s’accumuler dans son corps vers la fin du trajet de retour ; il y avait beaucoup de circulation sur l’autoroute, la nuit tombait, et la fatigue aidant elle s’était à nouveau retrouvée tendue, avec des fourmillements dans les mains et les trapèzes douloureux, et elle s’en était voulu « de ne pas avoir tout réussi jusqu’au bout » – ce qui lui en avait « rajouté une couche ». Un positionnement et des réactions sur lesquels nous travaillerons à la séance suivante.

Emilie arrive à la troisième séance en disant : « Le jour, la route est à moi ! » Elle est parfaitement à l’aise et ne se focalise plus sur le compteur. Le problème se manifeste maintenant exclusivement la nuit, et nous commençons à explorer sa perception de ce qui la gêne, et la manière dont elle y réagit. Tout n’est pas clair. Elle a l’impression que l’inconnu (ce qu’elle ne voit pas) devient connu trop tard (quand elle le voit) – elle « devrait » voir plus loin (mais c’est la nuit !). Elle regarde beaucoup le compteur avec le sentiment qu’elle devrait rouler plus vite (alors qu’elle ne le fait plus quand elle conduit de jour), et convient que cette tentative de contrôle est contre-productive. Nous évoquons les circonstances qui nous conduisent à moduler intelligemment notre vitesse : pluie, neige, brouillard, nuit, fatigue... tout ce qui modifie la visibilité et notre réactivité. Pour avoir davantage d’éléments, je lui demande d’ici la prochaine séance de remarquer vers quoi elle oriente son attention quand elle conduit la nuit – le compteur, les phares des autres véhicules, ce qu’elle ne voit pas encore, les éléments de repère indispensables pour rouler (le bord droit de la route, une ligne blanche...), et aussi ce qu’elle se dit par rapport à elle-même et par rapport aux autres conducteurs (elle imagine ce que les autres usagers de la route pourraient penser d’elle, ce qui la fait se sentir encore plus stressée ; quelques recadrages sont proposés à ce sujet). En plus de nous apporter les informations qui nous manquent, le simple fait de mener cette exploration devrait déjà l’amener à moins éviter et ouvrir un peu le champ de sa perception, et la sensation de peur devrait diminuer... à suivre... Nous avions prévu de faire un point trois semaines plus tard, mais nous devrons attendre la fin du confinement pour qu’elle puisse conduire « pour de vrai ». En attendant, je l’ai encouragée à conduire virtuellement, c’està- dire à continuer à visualiser des parcours, tronçons de route, de jour comme de nuit, comme nous l’avions fait ensemble, pour s’entraîner. Nous avons vu, à travers ce cas, comment les perceptions peuvent s’exacerber jusqu’à avoir des impressions « irrationnelles ». La peur conduit à l’évitement, qui s’associe à des tentatives infructueuses de contrôler la situation, et cela peut mener à des perceptions « hallucinatoires » très pénibles qu’on finit par considérer comme la « réalité », jusqu’à la structuration d’une croyance.

3. PEUR DES HAUTEURS

Anne est agent immobilier. Elle... Pour lire la suite...




NATHALIE KORALNIKNATHALIE KORALNIK

Enseigne l’approche systémique et stratégique et l’hypnose ericksonienne à l’Institut Gregory Bateson. Elle consulte en cabinet privé dans la région lyonnaise, en français, en anglais et en italien, et supervise plusieurs équipes socioéducatives dans sa région. Anime également des formations à la communication interpersonnelle et à la gestion des conflits à l’intention des parents et des personnes travaillant avec des enfants. Traductrice et interprète, elle traduit des séminaires et des ouvrages dans ses domaines de compétence.

 

 

 

 


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 N°60 Février Mars Avril 2021

Dossier : Les techniques de Rossi
Edito: Ernest L. Rossi, celui qui savait poser les questions à Milton Erickson. Julien Betbèze, rédacteur en chef
Papa, maman, le psy et moi. Comprendre le travail transgénérationnel. Bogdan Pavlovici nous invite avec humour à une séance de thérapie familiale
Peur du vide. Quatre situations cliniques. Nathalie Koralnik utilise l’approche de Palo Alto et nous donne des stratégies précises pour affronter la peur du vide.
La poésie, une alliée hypnotique. Pour se séparer de ce qui nous fait souffrir. Nicolas d’Inca

Espace Douleur Douceur
Edito : Douleur ou souffrance ? Gérard Ostermann
L’attente, une infusion dans le temps : Isabelle Devouge et Marc Galy
Soulager la douleur en réparant le passé. Philippe Rayet fait le récit d’une histoire clinique mettant en scène la puissance de l’imagination active
Quand tout bascule. Luc Evers, passé brutalement du statut de thérapeute à celui de patient témoigne de son expérience et de son utilisation de l’autohypnose avant, pendant et après son opération

Dossier : hommage à Ernest Rossi
Un chercheur en action. Dominique Megglé
Un génie avec beaucoup de lumières. Claude Virot
L’art de l’induction de transe et de l’accompagnement dans le processus hypnotique par le questionnement. Wilfrid Martineau

Rubriques
Quiproquo, malentendu et incommunicabilité. « Illumination ». Stefano Colombo
Les champs du possible. Je ne parle plus l’hypnose. Les troubles du comportement alimentaire et les mots. Adrian Chaboche
Culture monde. Expérience visionnaire d’un soufi. Sylvie Le Pelletier
Les grands entretiens. Mark P. Jensen, soulager les patients de leurs douleurs chroniques. Par Gérard Fitoussi

Livres en bouche

 *** Modifier la perception pour changer la réaction... Une tentative de solution infructueuse – c’est-à-dire une intervention visant à résoudre un problème mais qui ne résout rien –, si elle est répétée de manière rigide dans le temps, induit chez la personne qui l’applique une façon particulière et limitée de percevoir la situation problématique et d’y réagir, dans le sens où elle a de moins en moins de possibilités de voir les choses autrement et où le registre de ses réactions devient lui aussi de plus en plus limité. La boucle interactionnelle entre perception et réaction se resserre et, avec le noeud coulant de la redondance, la personne finit par vivre une « réalité » rigidifiée, limitée et douloureuse. C’est ce qu’on appelle le fonctionnement du problème. Dans notre modèle, développé par l’école de Palo Alto (Don D. Jackson, Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch), nous cherchons à mettre en évidence comment le problème fonctionne sur la base des tentatives de solution, et notre intervention a pour but de faire cesser les tentatives de solution pour cesser d’entretenir un équilibre problématique, puis de consolider le changement jusqu’à l’établissement d’un nouvel équilibre, plus écologique pour la personne. Nous ne nous interrogeons pas souvent sur la manière dont nous tentons, ou ne tentons pas, de résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés, et encore moins souvent sur les effets générés sur nous-mêmes par la manière dont nous percevons et appréhendons les choses. Au vu de ce qui a été dit au paragraphe précédent, notre travail en thérapie systémique et stratégique brève consiste à modifier la perception pour changer la réaction et à modifier la réaction pour changer la perception, afin de briser le cercle vicieux. Ce texte se propose d’en être une illustration.***

Hypnothérapeutes à Paris 75011, 75012, 75016 et Vincennes 94300
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