Dr Daniel QUIN.
Lâcher prise consiste à sortir de son cadre habituel de références et, par la transe, plonger dans un univers sans savoir où il nous mène.
Un thérapeute expérimenté dans la pratique de l’hypnose et des thérapies brèves a habituellement suivi une formation dans un de nos instituts et a acquis ainsi de nombreux outils utilisables dans son exercice quotidien.
Beaucoup d’entre nous avons une sorte de maître à penser l’hypnose qui guide nos interventions stratégiques et thérapeutiques. Nos outils, nous les utilisons raisonnablement souvent, intuitivement parfois, et toujours de façon « sainte-éthique ». Le patient se sert aussi de ces outils que nous lui prêtons et souvent très habilement pour rénover son quotidien. Il lui arrive souvent de nous épater par sa façon unique de transformer un rêve en une réalité, ou inversement, quand nous allons à la pêche, à l’aveugle, dans le noir.
Avec des mots bien choisis, proposés avec soin, des histoires captivantes, nous focalisons l’attention du patient pour l’amener à comprendre leur signification et les relier à ses problèmes. Dans l’inconscient du patient il y a une compréhension et également une résistance à reconnaître celle-ci. Il suffit parfois d’un geste, d’une parole pour que le patient – en attente – se voit engagé dans un processus de changement qui prend parfois des chemins surprenants.
J’ai lu à Vaison-la-Romaine en mai 2007 le livre de François Roustang, Savoir attendre : Pour que la vie change, aux éditions Odile Jacob (2006). Je me suis demandé si je pouvais retrouver dans ma pratique quotidienne tout ce qui alimente la réflexion de ce grand penseur de l’hypnose. Je ne sais pas. Mais sait-on jamais ? Je vous laisse juge.
CHANGER !
Consiste à modifier les rapports qu’un sujet entretient avec lui-même et son environnement. Pourquoi ? Parce qu’un des aspects de l’univers relationnel du sujet fait souffrir : divorce ou séparation, échec scolaire, panique à l’idée de prendre un avion. Changer c’est sortir de l’immobilité et se laisser faire par la mobilité, entrer en mouvement afin de retrouver une place, elle-même mouvante, et « admettre de ne pas être le centre ». L’induction d’une transe par une lévitation du bras est une belle illustration métaphorique de ce qui vient d’être dit. Plus qu’une simple détente, chaque expérience de l’hypnose, et de son état modifié de conscience, provoque une modification de l’existence plus qu’une compréhension du pourquoi du mal-être. Le comment prime sur le pourquoi. Lâcher prise consiste à abandonner ses certitudes, sortir de son cadre habituel de références, laisser tomber ses crispations, et par la transe plonger dans un univers mouvant et faire l’expérience de s’y mouvoir soi-même en se laissant dériver sans savoir où cela nous mène.
« Et découvrir cette sensation de légèreté, dans une main ou l’autre
Une légèreté aérienne,
Comme un petit nuage, un brouillard, une plume, un duvet...
Et prendre plaisir à découvrir quel est le premier doigt de la main qui commence à se soulever tout seul, puis le doigt d’à côté, ou la main elle-même,
Car ce qui est intéressant dans cette expérience, c’est de découvrir qu’il est plus simple que l’on ne croit de laisser une partie de soi ici, dans ce fauteuil, alors qu’une autre partie se met à dériver légèrement comme la main, et dériver, dériver encore, jusqu’à dériver au milieu de nulle part. Le milieu de nulle part, ce lieu sans lieu où le temps même semble suspendu au milieu de nulle part, où le passé le présent et le futur se mélangent, Car le présent d’aujourd’hui n’est que le futur du présent de hier, qui est dans le passé pour le présent d’aujourd’hui. Et à partir du moment où le présent d’aujourd’hui devient le présent de demain, Aujourd’hui est dans le passé pour ce présent du futur qui est encore un futur en devenir pour le présent d’aujourd’hui. Et quand après demain sera devenu, demain sera déjà dans le passé. »
VERRUE ET MAL-ÊTRE AU DEDANS
Marie, 12 ans, est amenée par sa grandmère pour verrue plantaire. En fait il s’agit d’un prétexte, car Marie n’éprouve pas le besoin de consulter. Son papa est médecin et sait très bien ce qu’il convient de faire. Or Marie est en échec scolaire depuis des semaines, fait des fugues et commet de menus larcins comme voler de l’argent à ses parents. Je lui explique que contrairement à son papa, je ne sais pas soigner les verrues ! Mais les verrues savent très bien se soigner toutes seules. Qu’elle imagine que sa verrue du doigt pourrait devenir légère afin de prendre une sorte d’envol et que sa main pourrait la suivre. Au fur et à mesure que s’installe une très belle lévitation je lui suggère que si quelque chose au dedans d’elle ne va pas bien actuellement, elle pourrait laisser venir ce quelque chose dans cette verrue et le laisser disparaître avec elle. Debout devant moi, le bras à la verticale, elle me demande : « mais jusqu’où elle va aller ? », et je réponds : « jusqu’à ce que tu te sentes à nouveau bien comme avant ; et une fois guérie ton bras va redescendre tout seul », ce qui arrive rapidement en quelques minutes. Elle allait mieux le lendemain et a demandé à sa maman de revenir une deuxième fois pour refaire « mon truc » avec son bras. Après cette deuxième séance, elle a retrouvé son bien-être et n’a plus présenté de troubles par la suite. La verrue aussi a disparu rapidement.
J’ai assisté pendant un court instant à une altération de la conscience, faite d’absence et d’automatisme qui doivent faire penser à tout bon médecin à de l’épilepsie, affection causée par un dysfonctionnement cérébral. Or la jeune patiente n’est pas tombée par terre, n’a pas convulsé et ne s’est pas endormie et est encore moins tombée dans un coma. Elle était à la fois là et pas là, de toute évidence éveillée, partiellement attentive, capable de manifester un comportement, corporellement présente, mais personnellement partiellement manquante. Ce souvenir ne m’a pas quitté et ce fut un grand jour pour moi quand j’ai lu que Antonio R. Damasio relatait une histoire similaire avec l’homme « absent sans avoir pris congé » (1). J’allais enfin pouvoir interpréter le sens de cette étrange affaire. Damasio ne parle pas d’hypnose, mais évoque la transition, « tranchante comme le rasoir », entre un esprit pleinement conscient et un esprit privé du sentiment de soi. Ma patiente a gardé sa vigilance, sa capacité fondamentale d’attention et son aptitude à se déplacer dans l’espace. L’essentiel de son esprit semblait être resté là, pour ce qui est de son environnement et de ses objets, mais le sentiment que l’on a de soi et que l’on a de se connaître semblait avoir été suspendu. L’étude de ce sentiment de soi, comme une partie indispensable de la conscience, au contact de cas similaires devrait améliorer notre compréhension du phénomène hypnotique.
CHANGER OU NON !
Certains patients butent sur la peur des conséquences que le changement pourrait avoir sur leur vie personnelle. La perspective de se réinventer une existence oblige à abandonner sa place dans un ancien monde en chamboulant trop ses rapports à soi et aux autres.
BOULIMIE ET CARENCE AFFECTIVE
Lise, 35 ans, consulte pour compulsion alimentaire. Cette enseignante intelligente suspecte à l’origine de ses troubles un problème avec sa mère. Elle a échoué à con - trôler sa prise de poids en s’épuisant dans d’innombrables régimes. Elle pense que l’hypnose va lui permettre de déraciner ce mal. Après une induction classique basée sur le confort et une simple dérive « au milieu de nulle part » avec une belle lévitation du bras gauche, elle manifeste pendant la transe une forte abréaction émotionnelle avec un déluge de larmes, sans sortir de sa transe. Le même phénomène émotionnel se reproduit juste après le « réveil ». Elle dit ne pas savoir ce qui a provoqué cette forte décharge émotionnelle. Elle ne revient pas et m’explique au téléphone qu’elle a compris que sa boulimie venait d’une carence affective. Que sa mère, une femme très distante, ne lui avait pas prodigué toute l’affection dont elle avait besoin et qu’elle comblait ce manque par des aliments. Elle ne souhaite pas aller plus loin en raison de la douleur provoquée par sa première séance.
On peut en hypnose retrouver une émotion, sans le souvenir de l’événement à l’origine de l’émotion, puis ultérieurement retrouver le souvenir de l’événement sans l’émotion, puis progressivement les pièces du puzzle s’assemblent et de nouvelles perspectives, de nouvelles compréhensions se font jour. Cette jeune femme a construit tout son quotidien sur cette carence qu’elle tente de combler maladroitement par son alimentation. Le changement menacerait le régime relationnel à elle-même qu’elle a longuement mis en place. Cet exemple illustre le principe de la peur du changement. Elle craint de se réinventer une autre existence en abandonnant le volume qu’elle occupait dans son ancien monde. Passer d’un régime à un autre risquerait de nuire à ses rapports à elle-même et aux autres. Elle ne se reconnaîtrait plus dans le regard des autres. Elle risque de perdre ses repères actuels, quoique fluctuants, et sans la garantie de stabilité du nouveau système qui l’attend au bout de la route appelée changement.
LE FAMEUX COUP DE MARTEAU
Quand le changement devient acceptable, il faut alors une force qui y pousse ; elle est dans l’état hypnotique et l’endroit de l’impact trouvé dans la perspicacité du thérapeute et l’intuition du patient. Tout le monde connaît l’histoire de cet automobiliste tombé en panne dans la banlieue d’une grande ville. Dans un garage de sa concession automobile le véhicule est soumis à une évaluation électronique complète assistée par ordinateur. Malgré cette haute technologie mise en oeuvre, point de démarrage. On décide alors de faire appel à Marcel, vieux garagiste à la retraite. Celui-ci tourne longuement autour du moteur, scrute, écoute, palpe diverses composantes du moteur. Finalement il demande à ce qu’on aille lui chercher un vrai marteau. Puis il donne un coup, un seul, à un endroit très précis du moteur. Immédiatement la voiture redémarre. Puis il présente sa facture : 205 euros. Devant la surprise de l’automobiliste qui insiste pour avoir un détail de cette facture, il lui dit : « Cela vous fait 5 euros pour le marteau et 200 euros pour avoir trouvé l’endroit où donner le coup salvateur. » L’hypnose nous permet d’imaginer ce que sera le changement. Elle nous donne accès à toutes les aptitudes et attitudes, basées sur tous les apprentissages faits par l’expérience et rendues disponibles par « l’état de veille élargie ». Si nos échanges avec notre environnement sont pauvres, monocordes, nous finissons par nous exténuer et c’est la dépression. Si ces échanges deviennent plus riches, alors notre force vitale s’en trouve renforcée. L’induction d’une transe revient à quitter sa demeure… Pour lire la suite et commander la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 62
DANIEL QUIN
Médecin généraliste à Strasbourg. Formé à l’hypnose médicale par le Docteur Dominique Megglé. Pratique l’hypnose en cabinet médical depuis 2002. Membre fondateur et vice-président de l’Institut Milton Erickson de Strasbourg Alsace en 2010 (IMHESA.fr). Chargé d’enseignement de l’hypnose au GEMA et au DU de Tours. Intervenant régulier à « Hypnosium » de Biarritz. Référent à la DGZH (Société allemande d’hypnose dentaire) et à la ÖGZH (Société autrichienne d’hypnose
Revue Hypnose & Thérapies brèves n°62 version Papier
N°62 : Août, Septembre, Octobre 2021
- Edito : Transe relationnelle. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- La lévitation : un catalyseur de changement. Daniel Quin. Lâcher prise consiste à sortir de son cadre habituel de références et, par la transe, plonger dans un univers sans savoir où il nous mène. Avec les exemples de Marie, 12 ans, en échec scolaire, Lise, 35 ans, qui souffre de compulsion alimentaire, de Nadine, 22 ans qui veut perdre du poids, d’Anne, 35 ans, qui boit de la bière de façon excessive.
- Conversation de désengagement : le changement par l’aversion. Alain Vallée. Exercices pratiques pour amener au désir de changement. Ce genre de conversation centrée sur la liberté ou la contrainte, les valeurs ou le jugement d’autrui et les sensations corporelles est d’une grande puissance et prend peu de temps. Avec les exemples du tabagisme, de la colère…
- De la métaphore à la chanson de geste. Histoire de réceptivité. Bruno Dubos. Dans le travail métaphorique tout est question de réceptivité. Le thérapeute utilise une métaphore pour « aller vers le sujet », celui-ci va-t-il la « recevoir » ? Avec l’exemple de Sylvie et sa suite traumatique d’un long parcours émaillé d’interventions chirurgicales conséquence d’une erreur médicale.
- Les outils de la thérapie narrative : trouver du sens à l’insensé. Françoise Villermaux. Quoi de plus anxiogène, pour le psychologue ou le pédopsychiatre, qu’un adolescent qui exprime des idées suicidaires ? Illustration avec Célia, 14 ans et Elio, 15 ans.
Dossier : Douleur, douceur
- Edito : Gérard Osterman
- La peur des soignants face à la mort. Myriam Mercier. Confrontés à la mort de patients dans leur travail, les soignants sont-ils autorisés à laisser parler leurs peurs ? Ou doivent-ils laisser leurs émotions à la maison ?
- Burn-out et doubles liens professionnels. Jérémy Cuna. Les exemples de M. H, directeur et délégué du personnel et de M. L, directeur adjoint et mari d’une salariée.
- Les gestes autocentrés : phénomène non conscient de ré-association. Corinne Paillette. Croiser les mains et mouliner des pouces, pianoter avec ses doigts sur ses cuisses, se gratter la tête… autant de petits gestes à observer chez les patients.
Dossier : Thérapie familiale
- Edito : Julien Betbèze. Mony Elkaïm : un thérapeute familial hors du commun
- Résonance et hypnose. En hommage à Mony Elkaïm et François Roustang. Sylvie Le Pelletier Beaufond. En vignette clinique, Mme C, 40 ans, en dépression depuis des années.
- Affronter l’ado tout-puissant : TOS (Thérapies Orientées Solution) et approches stratégiques. L’incroyable prise de pouvoir d’un adolescent de 15 ans sur sa famille. Sophie Tournouër
- Thérapie familiale et hypnose. Dimitri Tessier. Rétablir les liens entre les personnes dans des contextes de blocages relationnels. Les exemples de la famille L, une femme élève seules ses enfants, et du couple C en désaccord sur l’éducation de leur fille.
Rubriques
- Quiproquo. Stéfano Colombo. « Famille ». Dessin de Mohand Chérif Si Ahmed alias Muhuc
- Les champs du possible. Adrian Chaboche. Heureusement le temps passé passe par le présent.
- Culture monde. Sylvie Le Pelletier Beaufond. Les forces de l’invisible. Thérapies au Bénin.
- Les Grands entretiens. Gérard Fitoussi. Jacques-Antoine Malarewicz
- Livres en bouche: Julien Betbèze, Sophie Cohen.